A Annecy, ville ultra sportive, c’est l’échauffement général. Dans quelques semaines, quelques amoureux de la course réaliseront leur rêve, après avoir été tiré au sort : participer à l’UTMB, la course chamoniarde. Chez Hortense J. ostéopathe installée en plein centre-ville, les séances sont animées. Parfois, il faut calmer les ardeurs
Il y a un grand nombre de sportifs et notamment de trailers à Annecy et dans la région. Viennent-ils vous voir avec des demandes ou pathologies spécifiques ? Que leur conseillez-vous ?
Hortense Jacquinet : Il est vrai que la région est propice à pléthore d’activités d’extérieur, pour certaines très en vogue : trail, triathlon, ski, natation, golf. Pour citer l’exemple de la course à pied, il est évident que bon nombre de patients consultent pour des « plaintes » ou douleurs souvent liées à la pratique de cette dernière.
Que ce soit des problématiques autour du genou, de la hanche et du pied/cheville, je remarque deux choses : les particuliers tendent de plus en plus à se « professionnaliser » dans leur pratique. Les patients deviennent « experts » dans celle-ci et sont friands de conseils pour mieux gérer leur effort, leur programmation, leur récupération. Je suis ravie d’en discuter avec eux pour les conseiller et d’observer l’intérêt croissant d’une partie de la population pour l’activité physique.
Mais la capacité d’adaptation du corps est souvent surestimée. Les douleurs ou blessures surviennent souvent dans le cadre du non-respect de l’adaptation progressive de la charge d’entrainement. Surtout si vous avez toujours exercé dans un cadre professionnel sédentaire, vos tendons ne sont pas capables de gérer du jour au lendemain un changement de charge notable !
Les patients se laissent vite submerger par la passion de l’activité et négligent les piliers mêmes de la progressivité (sommeil, entrainements trop longs et trop intenses plutôt que plus réguliers, mode de vie sédentaire)
Pratiquer son métier à Annecy vous amène-t-il à côtoyer beaucoup de sportifs ?
HJ : Je reçois et m’occupe de charpentiers, d’agriculteurs, de pédicures pour vaches et, c’est vrai, de pas mal de sportifs très accomplis.
C’est une chance d’évoluer parmi une variété notable de patients quotidiennement. Et j’adore cette diversité, qui m’amène à être confrontée à des cas différents : comme je le rappelle souvent, « on ne sait jamais ce qui nous attends dans la salle d’attente » !
Depuis trois ans, j’ai le plaisir d’exercer avec des sportifs professionnels, dans le cadre d’évènements sportifs et d’évoluer depuis déjà 2 ans avec l’association ARC Annecy (Annecy Running Club). Un ami d’enfance*, lui-même coureur accompli, m’a appelée un jour et m’a demandé s’il pouvait orienter vers moi des membres du club. Certains de ces compères sportifs étaient venus au cabinet grâce bouche à oreille et ils avaient été satisfaits de leur séance et peut-être de quelques conseils. Du coup, maintenant, j’en vois plus en consultation.
Vos consultations durent une heure, pourquoi ?
HJ : C’est un choix de ma part, depuis trois ans. Pour avoir été confrontée à des consultations plus courtes lors de mes collaborations précédentes, il me tient particulièrement à cœur d’avoir un temps d’anamnèse suffisant avec le patient. En tant qu’ostéopathe, nous sommes des praticiens que l’on nomme de première intention : cela signifie que le patient n’a pas besoin d’être adressé par le médecin généraliste pour nous consulter. Il est donc primordial de m’assurer que mon patient n’a pas besoin d’être réadressé chez un autre professionnel de santé. Mais cela laisse également la place au patient de discuter avec moi ou d’évoquer d’autres points de son quotidien, problématiques ou symptômes qu’il n’aurait pas le temps d’évoquer parfois chez son médecin.
Vous pouvez très bien venir consulter pour votre genou et qu’on découvre d’autres paramètres impactants parce qu’on aura pris le temps de parler du cadre de vie dans lequel vous évoluez ou les contraintes de stress que vous pourriez subir.
En réalité,j’ai besoin d’être certaine que vous n’avez pas besoin de consulter votre généraliste pour un tout autre souci de santé !
En consultant Doctolib, j’ai constaté que vous ouvrez des créneaux de rdv jusque tard, 21h parfois. Pourquoi ?
HJ : Tout simplement pour m’adapter à la clientèle qui vit à Annecy et dans l’agglomération. Les journées n’ont que 24h, mais pour certains, avoir la possibilité de consulter après sa journée de travail ou une fois les enfants couchés est une nécessité et permet de ne pas empiéter sur les horaires de travail ouvrés. Spécifiquement à ma région, une grande partie de ma patientèle travaille en Suisse, en tant que frontaliers, avec des amplitudes de journées de travail conséquentes. Recevoir plus tard le soir prend alors tout son sens pour cette catégorie de patients.
La covid a amené beaucoup de cadres et nouveaux arrivants dans la région, qu’observez-vous comme conséquences de cet afflux ?
HJ : Je répondrai à cette question sur un plan médical : le statut de cadre, car ce sont surtout des cadres qui sont concernés, implique souvent une population dans la trentaine /quarantaine. C’est une tranche de la population qui se connait mieux dans son quotidien et vise davantage à s’économiser physiquement et durablement, ce qui est tout à fait louable.
Cependant, les conditions de travail ou le quotidien avec les enfants peuvent devenir difficiles et provoquent un nombre croissant de burn-out professionnel et personnel. Il en existe plusieurs formes variées (syndrome dépressif/bore-out, trouble de stress post-traumatique) qui nécessitent une prise en charge pluridisciplinaire. J’y suis directement confrontée en consultation. J’essaye d’apporter mon soutien dans la gestion des douleurs mais également en questionnant mon patient sur son cadre de vie et en le redirigeant vers les professionnels adéquats le cas échéant
Annecy fait rêver. La vie y est-elle simple, idyllique ?
HJ : Sans m’impliquer dans un discours politique qui ne correspond pas au cœur de ma profession, je pense qu’Annecy ressemble à quantité d’autres villes dont l’attractivité repose en partie sur le tourisme. Les conditions de logement et le coût de la vie sont devenus conséquents et doivent être pris en considération, si l’on compte y déménager. Les évènements sportifs locaux ravissent beaucoup de sportifs, permettent une mise en avant économique régionale mais il faut veiller à le faire au sans dégradation du cadre naturel. En matière de santé il existe un concept aristotélicien, celui de médiété. Il s’exporte bien en matière d’urbanisme et de développement d’une cité : les extrêmes ne vous amènent pas vers davantage de confort, c’est le juste équilibre qu’il faut viser.
Hortense Jacquinet Ostéopathe – © 2019